C'est quoi l'intelligence Sensori-motrice ?

C'est quoi l'intelligence Sensori-motrice ?

Écrit par : Alexis Parietti

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Temps de lecture 9 min


Comment un bébé passe-t-il de simples réflexes à des actions réfléchies, comme ouvrir une boîte ou chercher des solutions à des problèmes complexes ? Ce processus fascinant repose sur une forme d'intelligence essentielle mais souvent méconnue : l'intelligence sensori-motrice.


Présente chez les humains, mais aussi chez certains animaux comme les primates, cette intelligence est la première pierre du développement cognitif. De la naissance jusqu'à l'âge de 2 ans, elle permet à l'enfant d'explorer, de comprendre et d'interagir avec le monde qui l'entoure.


Qu’est-ce que l’intelligence sensori-motrice ?


L'intelligence sensori-motrice est une forme d'intelligence fondamentale qui permet à l'enfant, et à certains animaux comme les primates, de s'adapter à leur environnement. Contrairement à la pensée abstraite, elle repose sur l'interaction directe entre les sensations (ce qu'on perçoit) et les actions motrices (ce qu'on fait). De la naissance à environ 2 ans, l'enfant "apprend en faisant" : il saisit, secoue, lance des objets, découvrant ainsi des notions essentielles comme l'espace, le temps, la causalité et la permanence des objets.


Au cœur de ce processus, on trouve les schèmes d'action, des "modèles" que l'enfant adapte selon les situations. Grâce à deux mécanismes clés — l'assimilation (réutiliser un schème existant) et l'accommodation (créer ou modifier un schème) — il affine ses actions et comprend progressivement le monde qui l'entoure.


Cette intelligence ne s'arrête pas là : elle prépare le terrain pour l'intelligence représentative, qui apparaît vers 18-24 mois. L'enfant devient alors capable de se représenter des objets absents et d'utiliser des symboles, ouvrant la voie au langage, au jeu symbolique et à la pensée logique. En somme, l'intelligence sensori-motrice est le socle de toutes les compétences cognitives futures.


Les 6 stades de l'intelligence sensori-motrice (selon Piaget)


Jean Piaget a défini 6 stades de l'intelligence sensori-motrice, chacun marquant une avancée majeure dans la capacité de l'enfant à comprendre et interagir avec le monde. Ces stades, qui couvrent les deux premières années de vie, montrent comment les réflexes initiaux se transforment peu à peu en actions volontaires, intentionnelles et réfléchies.

Voici un récapitulatif clair et structuré des 6 stades de l’intelligence sensori-motrice.


Stade 1 : Le stade des comportements réflexes (0 à 1 mois)


  • Description : À ce stade, le nouveau-né utilise uniquement ses réflexes innés pour réagir à son environnement (succion, préhension, orientation du regard, etc.). Ces réflexes sont automatiques et ne nécessitent pas de réflexion.


  • Exemple concret : Le réflexe de succion se déclenche automatiquement lorsqu'un objet (comme un doigt ou un sein) touche la bouche du bébé.


  • Avancée majeure : Le bébé commence à s'adapter à son environnement en utilisant ses réflexes de manière plus efficace (par exemple, il apprend à mieux positionner sa bouche pour téter).


Stade 2 : Le stade des réactions circulaires primaires (1 à 4 mois)


  • Description : L’enfant découvre le plaisir des sensations liées à son propre corps et répète les actions qui lui procurent cette sensation. Ces actions, au départ accidentelles, sont reproduites volontairement.


  • Exemple concret : L'enfant suce son pouce de manière répétée après l'avoir découvert par hasard.


  • Avancée majeure : Début de la maîtrise de son propre corps. L’enfant commence à associer certaines actions à des résultats agréables et les répète, ce qui marque une étape clé vers le contrôle volontaire de ses mouvements.



Stade 3 : Le stade des réactions circulaires secondaires (4 à 8 mois)


  • Description : À ce stade, l’enfant commence à agir sur son environnement. Contrairement au stade précédent, il ne se limite plus aux sensations corporelles, mais il agit sur des objets extérieurs.


  • Exemple concret : L'enfant secoue un hochet volontairement pour entendre le bruit qu'il produit.


  • Avancée majeure : Prise de conscience du lien entre ses actions et leurs effets sur l'environnement. L’enfant comprend que ses actions peuvent provoquer des changements autour de lui et il cherche à les reproduire intentionnellement.


Stade 4 : Le stade de la coordination des schèmes secondaires (8 à 12 mois)


  • Description : L'enfant commence à coordonner plusieurs actions pour atteindre un objectif précis. Ses actions ne sont plus indépendantes, mais s'articulent entre elles dans un enchaînement logique.


  • Exemple concret : L'enfant tire sur un drap pour ramener un jouet vers lui.


  • Avancée majeure : Naissance de l'intentionnalité. L’enfant comprend que certaines actions doivent être combinées pour atteindre un but. C’est le début des actions dirigées par un objectif.


Stade 5 : Le stade des réactions circulaires tertiaires (12 à 18 mois)


  • Description : L’enfant devient explorateur et cherche à découvrir de nouvelles façons d’interagir avec le monde. Il ne se contente plus de répéter les actions qu’il connaît, mais varie ses comportements pour observer les différences de résultat.


  • Exemple concret : L'enfant laisse tomber des objets (comme des jouets ou des aliments) depuis la chaise haute pour observer comment ils tombent différemment sur le sol ou la table.


  • Avancée majeure : Curiosité et exploration active. L’enfant devient un expérimentateur en série. C’est une période d’expérimentation, de "tests d’hypothèses" et de découvertes. Ce comportement, bien qu'amusant (ou agaçant) pour les parents, est crucial pour le développement de l’intelligence.



Stade 6 : Le stade de l'intériorisation des schèmes d'action (18 à 24 mois)


  • Description : L'enfant devient capable de représenter mentalement des actions avant de les exécuter. Il n’a plus besoin d’essayer systématiquement toutes les solutions, car il peut réfléchir à la meilleure option avant d'agir. C’est la naissance de la pensée symbolique.


  • Exemple concret : L'enfant réfléchit à comment récupérer un jouet coincé sous un meuble. Au lieu d'essayer au hasard, il visualise la solution (par exemple, utiliser un bâton) et la met en œuvre.


  • Avancée majeure : Apparition de la fonction symbolique. L’enfant accède à une nouvelle forme d'intelligence où il est capable de représenter des objets absents, de planifier des actions mentales et de résoudre des problèmes sans tâtonnements physiques. Cette capacité se manifeste également par le jeu symbolique (faire semblant de nourrir une poupée) et la naissance du langage.


Comment se construit l’intelligence sensori-motrice ?


La construction de l’intelligence sensori-motrice repose sur un processus progressif et dynamique, au cours duquel l’enfant passe des réflexes innés à des actions intentionnelles


Ce processus est rendu possible par l’interaction entre les schèmes d'action, l'assimilation et l'accommodation, trois concepts clés définis par Jean Piaget. Ces mécanismes permettent à l'enfant de comprendre le monde, de s’y adapter et d'y agir de manière de plus en plus efficace.


Le rôle des schèmes d'action


Un schème d'action est un modèle d'action ou de comportement que l’enfant applique à différentes situations. Ces schèmes se construisent au fil des expériences et se modifient à mesure que l’enfant rencontre de nouvelles situations.


Définition simple : Un schème d'action est une structure d'action généralisable, c'est-à-dire un ensemble de gestes ou de comportements que l'enfant peut réutiliser dans des situations similaires.


Exemple de schème d'action :


  • Le schème de préhension (saisir un objet) se développe dès les premiers mois de la vie. Initialement, le bébé attrape des objets avec un réflexe de préhension automatique. Mais en grandissant, ce schème évolue : il affine sa prise en fonction de la forme, du poids ou de la texture de l'objet (prendre une balle ne se fait pas de la même manière que prendre un cube).


  • Le schème de succion (téter) est un autre exemple. Au début, le bébé applique ce schème à tout ce qui entre en contact avec sa bouche (le sein, le biberon, un jouet). Avec le temps, il apprend à différencier les objets qu’il peut sucer et ceux qu’il ne peut pas.


Ces schèmes ne restent pas figés. Grâce aux processus d'assimilation et d'accommodation, ils se diversifient et se complexifient.


Les processus d'assimilation et d'accommodation


Ces deux processus permettent au bébé d'adapter ses schèmes d'action à de nouvelles situations et de s'adapter à un environnement en constante évolution.


1️⃣ Assimilation


  • Définition : L’assimilation consiste à appliquer un schème d'action existant à une situation nouvelle.


  • Explication : Lorsque le bébé rencontre un objet ou une situation inconnue, il tente de l'interpréter en utilisant les schèmes qu'il connaît déjà.


  • Exemple : Le bébé qui a appris à attraper un hochet utilise le même schème de préhension pour saisir une balle, car il assimile la balle au type d'objet qu’il peut attraper de la même manière.


💡 Résumé : L'assimilation, c’est utiliser ce que l’on sait déjà pour comprendre et agir sur quelque chose de nouveau.


2️⃣ Accommodation


  • Définition : L'accommodation consiste à modifier ou créer un schème d'action pour s'adapter à une nouvelle situation.


  • Explication : Lorsque l'objet ou la situation ne correspond pas aux schèmes existants, le bébé doit modifier ou créer un nouveau schème pour réussir à interagir avec lui.


  • Exemple : Imaginons qu'un bébé, habitué à saisir un hochet, se retrouve face à un jouet avec un bouton à presser pour activer un son. L'ancien schème de préhension (attraper et secouer) ne fonctionne plus. L'enfant devra alors accommoder ce schème en apprenant à presser le bouton pour obtenir un résultat.


💡 Résumé : L'accommodation, c’est adapter ou changer ce que l’on sait pour s'adapter à une nouvelle situation.


Comment assimilation et accommodation fonctionnent ensemble ?


Ces deux processus sont complémentaires et fonctionnent en interaction constante.


  • L’assimilation permet au bébé d’agir rapidement face à des situations déjà connues.


  • L’accommodation permet de s’adapter à des situations nouvelles ou inattendues.


Ces deux mécanismes permettent au bébé de maintenir un équilibre cognitif entre ce qu’il connaît et ce qu’il découvre. C’est ce que Piaget appelle l’équilibration.


Exemple global :


  • Assimilation : Le bébé attrape un hochet de la même manière qu'il attrape un jouet en tissu, en appliquant son schème de préhension.


  • Obstacle : Mais, cette fois, le jouet en tissu est plus mou et glisse de ses mains.


  • Accommodation : L'enfant comprend qu’il doit adapter sa prise (la serrer plus fort) pour ne pas le faire tomber. Ce nouveau schème s'ajoute à sa "boîte à outils" mentale.


Ce va-et-vient permanent entre assimilation et accommodation est ce qui permet au bébé de construire de nouveaux schèmes, de comprendre le monde et de s'y adapter.


Le rôle du jeu et de l'exploration dans la construction de l'intelligence


La manipulation d'objets et le jeu libre sont essentiels au développement de l'intelligence sensori-motrice. À travers le jeu, le bébé expérimente ses schèmes d'action. Il apprend à reconnaître des objets, à anticiper des effets et à tester différentes actions.


Exemple concret :


  • L’enfant qui fait tomber des jouets depuis sa chaise ne le fait pas par simple caprice. Il explore la gravité, observe comment les objets tombent (plus vite, plus lentement) et teste la différence entre des objets mous (qui rebondissent peu) et des objets durs (qui rebondissent plus).


  • Ce comportement, parfois déroutant pour les parents, est en fait un signe d’une exploration cognitive très riche.


À travers le jeu, l'enfant exerce ses capacités d'adaptation, enrichit ses schèmes d'action et comprend les notions de cause à effet.


C'est quoi l'intelligence Sensori-motrice ? en conclusion


L'intelligence sensori-motrice est la première forme d'intelligence qui permet au bébé de découvrir, comprendre et interagir avec le monde qui l'entoure. Par le biais des schèmes d'action, de l'assimilation et de l'accommodation, l'enfant développe ses capacités d'adaptation, pose les bases de la pensée logique et se prépare à la représentation mentale


Ce processus, bien que discret, est essentiel au développement de l'autonomie, du langage et de la réflexion. Chaque action, chaque exploration et chaque jeu contribuent à la construction de son intelligence future.